La mesure imposant un contrôle médicale obligatoire des conducteurs est un débat récurrent depuis quelques années. Ce débat est d'autant plus passionné que cette mesure viserait plus particulièrement les personnes âgées. Des députés ou sénateurs se risquent régulièrement, avec bonnes raisons, à proposer une loi ou un amendement allant dans ce sens.
Ils donnent ainsi suite à une décision du Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 18 décembre 2002 et confirmé par celui du 9 juillet 2003, consistant à prévoir une évaluation médicale de l'aptitude à la conduite. Pour le CISR, cette mesure s'adresse aussi bien aux candidats au permis de conduire, aux conducteurs tout au long de leur vie ainsi qu'à ceux âgés de plus de soixante-quinze ans. L'objectif est de faire prendre conscience, aux uns, de leurs capacités à conduire un véhicule en fonction de leur état de santé et, aux autres, des conditions dans lesquelles ils peuvent continuer à conduire en toute sécurité.
Depuis, la seule suite concrète au CISR de 2003 fut d'actualiser la liste des affections médicales incompatibles avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée (arrêté du 18 décembre 2015). Il faut dire que beaucoup d'acteurs de la sécurité routière dont son administration ne sont pas convaincus de l'utilité d'un contrôle médicale. Une partie de la communauté scientifique et plus curieusement certaines associations engagées dans la lutte contre l'insécurité routière soutiennent aussi cet avis. Cette position argumentée apparait dans un rapport du comité des experts du Conseil national de la Sécurité routière (tome 2 - les groupes à risque du 16 juin 2014 - les personnes âgées).
L'argument majeur s'opposant à cette mesure est qu'il faut préserver le plus longtemps possible l'autonomie de déplacements des personnes âgées et que, de surcroît, ces personnes ne représentent pas un véritable risque au regard de l'accidentalité. Certaines populations, notamment les femmes âgées de soixante-dix ans et plus, pourraient être découragées trop tôt par un système de contrôle contraignant, alors même qu'elles ne constituent pas un danger pour les autres (faible kilométrage, faible taux d'accident) mais sont plus vulnérables en tant que piétonnes.
La Sécurité Routière estime, de surcroît, que l'obligation de se soumettre à un examen en fonction de l'âge n'a jamais fait la preuve de son efficacité, citant un rapport de l'OCDE sur le vieillissement et les transports publié en 2001 et les enseignements dans les pays où existe un tel contrôle (Finlande, Suisse, Pays-Bas, ..). Elle estime que ce contrôle aura un coût très élevé pour la collectivité. Pour la Suisse, donnée parfois comme référence, elle fait savoir que le contrôle est très limité dans la plupart des cantons, le médecin traitant faisant un certificat des plus légers. La Sécurité Routière préfère à une obligation le dialogue avec le médecin traitant afin de savoir quelles restrictions la personne âgée doit adopter. Elle mise aussi sur l'entourage qui peut entamer le dialogue avec la personne âgée. Dans des cas difficiles, les proches peuvent faire appel au préfet qui pourra enjoindre au titulaire du permis de conduire de se soumettre à un contrôle médical. Cet examen médical sera réalisé par un médecin agréé consultant hors commission médicale.
Au final, l'inquiétude est grande de voir par une telle mesure une perte de lien social des personnes âgées, plus grave que le risque éventuel qu'elles font encourir aux autres usagers. Elle pousserait les seniors à arrêter d'eux-mêmes toute conduite alors qu'ils pourraient très bien continuer sous certaines conditions (petits trajets, de jour...). Des associations plaident dans ce sens avec davantage de stages de sensibilisation pour "apprendre et comprendre ses limites" et de remise à jour de ses connaissances sur le code de la route.
Malgré tous ces arguments dont il faut tenir compte, l'instauration d'un contrôle médicale périodique et obligatoire est, toute comparaison gardée, une mesure aussi pertinente que celle imposant un taux maximal d'alcool ou l'interdiction de conduire sous l'emprise de stupéfiant. Une récente étude n'a-t-elle pas mis en évidence que plus de 6% des accidents corporels sont dus à la prise de médicament ( Projet CESIR - INSERM)
La conduite automobile est une des activités humaines la plus complexe qui exige de disposer de toutes ses facultés physiques et mentales. Personne ne s'offusque, bien au contraire, que les conducteurs lorsqu'ils utilisent leur permis de conduire pour des raisons professionnelles (conducteurs de poids lourds, de transport en commun, de taxi, d'ambulance, de véhicules affectés au ramassage scolaire, de véhicules motorisés à deux ou trois roues, de certains véhicules avec remorque, de véhicules de grande remise, enseignants de la conduite) soient soumis une visite médicale.
La visite médicale des conducteurs professionnels est effectuée par un médecin agréé par le préfet ou par des médecins siégeant au sein de la commission médicale primaire. Le contrôle porte sur l'aptitude physique et sur les aptitudes cognitives et sensorielles. Le médecin doit en effet s'assurer que le conducteur est capable de comprendre et d'utiliser toutes les informations nécessaires à la conduite. Le médecin peut prescrire des examens complémentaires comme des examens psychotechniques. La périodicité de la visite est de tous les 5 ans pour les moins de 55 ans et passe à tous les ans au-delà de 76 ans.
Si on considère qu'un conducteur professionnel doit être soumis à un contrôle médical, a fortiori un non professionnel devrait être soumis à la même règle puisque les causes produisant les mêmes effets, il se met en danger lui personnellement mais aussi les autres usagers de la route. Ce danger existe bien qu'il soit minimisé dans certaines analyses. Il s'avère que le risque d'être impliqué dans un accident et d'en être, de surcroît, responsable est inquiétant pour les personnes seniors comme le montre les données de l'Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière dans son bilan annuel. En 2016, 779 accidents mortels ont impliqué un conducteur âgé entre 65 et plus (soit 24% parmi les 3 228 accidents mortels recensés en France) dont 389 avec un conducteur âgé de 75 ans et plus (soit 12% des accidents mortels). Parmi les personnes décédées dans ces accidents au nombre de 854, 481 personnes tuées étaient les conducteurs (soit 54 %) et parmi les 373 autres, 12 avait moins de 14 ans et 131 plus de 75 ans (source La sécurité routière en France - Bilan de l'accidentalité 2016 page 168).
Selon l'étude TNS -Sofres du parc automobile (page 146 du bilan), la part des kilomètres parcourus des conducteurs de 75 ans et plus est de l'ordre de 2,5 % alors que cette population représente 11% de la mortalité soit un facteur de risque de 4,5 presque deux fois supérieurs à celui des conducteurs entre 18 et 24 ans, souvent la cible de l'insécurité routière. Pour ce qui les concerne, leur part en kilomètres parcourus est de l'ordre de 10 % alors que cette population représente 24 % de la mortalité soit un facteur de risque de 2,4.
Ce risque plus important des seniors correspond également à un niveau de responsabilité présumée plus élevé en cas d'accident mortel. Les conducteurs de véhicule de tourisme de 75 ans et plus sont présumés responsables dans 70 % des accidents mortels les impliquant, responsabilité du même ordre que le conducteurs âgés entre 18 et 24 ans (page 88 du bilan).
Si une large part de la responsabilité des jeunes conducteurs concerne une infraction au taux d'alcool, à la présence de stupéfiant ou à une prise de risque en relation avec la vitesse, il en est différemment pour les personnes âgées. Ces derniers commettent souvent une faute de conduite ou d'interprétation d'une situation. La plus courante est une difficulté d'apprécier la vitesse des véhicules à un carrefour à stop où ils sont arrêtés. Ils sont également plus fragiles et survivent moins à un accident grave qu'un jeune.
Dans ces situations d'accident, il faut avoir à l'esprit que les routes sont conçues en prenant en compte la capacité moyenne de l'individu. Les règles de l'art d'aménagement routier font implicitement référence à un modèle de conducteur dont on attend un niveau optimal de performance. Ceci explique que les personnes âges se trouvent parfois en difficulté en tant que conducteur, notamment dans quatre types de situation occasionnant des accidents souvent mortels : outre le franchissement de stop déjà mentionnés, on peut aussi citer les prises à contre-sens (un accident sur deux est une personne âgée), les franchissements de passage à niveau et les tourne-à-gauche qui peuvent parfois s'expliquer par une mauvaise lecture de la signalisation. Par exemple, la taille des caractères des panneaux ainsi que leur distance de visibilité est calculée pour une acuité visuelle de 7. Paradoxalement, le code de la route ne requiert qu'un minimum de 5 pour les deux yeux.Or, deux conducteurs sur 10 conduisent avec une acuité visuelle insuffisante pour la conduite.
La vue représente pourtant plus de 80 % des informations perçues pour une conduite sûre. Que d'accident où le conducteur avoue dans les procès-verbaux ne pas avoir vu l'autre véhicule ou le piéton et qu'il n'est pas cru pour cette raison. L'arrêté précité du 18 décembre 2015 introduit également une incompatibilité à la conduite si le champ visuel horizontal est inférieur à 120°, à 50° vers la gauche et la droite et à 20° vers le haut et le bas. Aucun défaut ne doit être présent dans un rayon de 20° par rapport à l'axe central. L'arrête introduit aussi une incompatibilité de la conduite de nuit en cas d'absence de vision nocturne. L'altération de la vue concerne toutes les classes d'âge même si la vision se modifie singulièrement au-delà de 65 ans, c'est pourquoi une visite médicale est bien nécessaire aux conducteurs tout au long de leur vie
Le vieillissement normal s'accompagne de modifications physiologies liées à l'âge dont certaines peuvent influencer la conduite automobile1.
Outre la vision, d'autres modifications interviennent : le ralentissement psychomoteur se traduit par des temps de réaction plus longs. De plus, l'atteinte de l'attention divisée peut se traduire par des difficultés à traiter plusieurs informations en même temps. Les capacités fonctionnelles peuvent être altérées, ce qui peut se traduire par des difficultés dans la coordination des gestes. Régulièrement, ces handicaps sont mis en avant à l'occasion d'accidents mortels atypiques impliquant des personnes très âgés comme par exemple des prises à contre-sens sur autoroute. Pour pallier ces inconvénients, on espère que ces personnes sauront d'elles-mêmes limiter ce risque en évitant de rouler la nuit, en conduisant moins vite2 ou en limitant les déplacements à des déplacements locaux de courte distance. Pour autant, les accidents impliquant ces personnes se produisent quasi tous à moins de 10 kilomètres de leur domicile.
Outre la route, force est de constater que leurs véhicules ne sont pas toujours adaptés. La conception des véhicules a largement évolué depuis l'année où les personnes âgées de plus de 75 ans ont appris à conduire, la majorité ayant passé leur permis dans les années 1950. Ainsi beaucoup des conducteurs de cette génération ont appris à freiner avec des freins à tambours alors que les véhicules qu'ils possèdent maintenant sont équipés d'ABS, ce qui change radicalement la technique de freinage. La prochaine génération pourra certes bénéficier des améliorations techniques comme la direction assistée, le réglage des sièges ou les vitres électriques. Il n'empêche que ces améliorations sont souvent mal utilisées par défaut d'information ou parce qu'elles posent encore problème (ajuster la position du siège reste une difficulté). La multiplication de l'électronique peut également s'avérer difficile à gérer pour les conducteurs âgés tout comme la lecture des écrans et leur utilisation tactile. La génération suivante pourra peut-être se déplacer dans une voiture autonome avec la réserve que celle-ci nécessitera une reprise en main en cas de mode dégradée.
En conséquence, face à la forte augmentation du nombre de personnes âgées estimés par l'INSEE pour les années à venir à 9 millions en 2020, à 12 millions en 2030 et 15,6 millions en 2050, il est important d'anticiper les risques à venir d'autant que, la durée de vie se prolongeant également, le nombre de kilomètres parcourus ira en croissant et l'accidentalité de ces personnes suivra. Certes, les stages de conduite à l'intention des seniors se développent et connaissent un franc succès. Ils rendent accessibles les tests permettant de mesurer certaines aptitudes et permettent ainsi aux personnes âgées de prendre conscience de leurs faiblesses physiologiques sachant qu'elles se mettent souvent dans une position de déni. Ces stages sont proposés soit par des assurances, soit par des municipalités avec parfois une prise en charge partielle. Par ailleurs, les personnes âgées pourraient être mieux orientées en cas d'achat d'un véhicule vers ceux les plus adaptés à leur handicap. Les règles de l'art de la signalisation pourraient être également revisitées pour être plus lisible et mieux compris.
Pour autant, la question d'une visite médicale obligatoire s'impose devant l'acuité du problème. Un pays comme le Japon qui connait déjà une importante population âgée n'a pas hésité à imposer par la loi, depuis le mois de mars 2017, un test cognitif pour le renouveler du permis de conduire des personnes âgées de plus de 65 ans. Des autorités locales encouragent même ces automobilistes âgés à rendre leur permis, en leur offrant des réductions sur les taxis et bus. Des transports dédiés aux personnes âgés sont effectivement une solution envisageable par les municipalités pour leur permettre d'accéder à un certain nombre d'activité localement. La formule du taxi à la demande est particulièrement adaptée. L'enjeu pour les personnes âgées est en priorité de pouvoir se déplacer à pied en toute sécurité.
Depuis 2013, la France a adopté le nouveau permis européen. Sa durée de validité a été fixée à 15 ans, Une possibilité serait de conditionner son renouvellement avec une vérification de l'aptitude à la conduite, qui pourraitprendre la forme d'un examen médical, A l'instar des conducteurs professionnels, cette durée pourrait être réduite au-delà de 65 ans à 5 ans puis à deux ans au-delà de 80 ans.
1 Conduire quand l'âge avance -IPSEN - septembre 2010
2 Le suivi des conducteurs âgés - INRETS - Décembre 2003